Publié le 13 janvier 2020
À l’automne 2019, Æquo a effectué son séjour annuel à Calgary pour discuter de risque carbone avec divers représentants de sociétés pétrolières et gazières. Un constat se dégage : les pétrolières sont dans une course pour produire le baril de pétrole le moins cher et le moins polluant possible. Un PDG rencontré nous a même affirmé aspirer à être le leader mondial de pétrole à basse intensité carbone: “I don’t wake up in the morning to be average!,” a-t-il affirmé. Le terme “concurrence carbone” (carbon competitiveness) est régulièrement évoqué ainsi que “carboneutralité”. L’industrie, le gouvernement et une bonne partie du secteur financier, font activement la promotion du pétrole canadien comme étant le plus propre et éthique. Mais rappelons qu’il est difficile de concilier le souhait d’Ottawa à être carboneutre d’ici 2050 et la croissance du secteur qui représente déjà plus du quart des émissions de GES du pays (et qui en est la principale source de hausse des dernières années).
Quoi qu’il en soit, le secteur prend des engagements volontaires. CNRL, MEG et Cenovus ont récemment annoncé le souhait d’atteindre la carboneutralité. Certaines pétrolières se sont donné des objectifs à moyen terme de réduire leur intensité carbone (GES par baril de pétrole); dans le cas de Suncor et Cenovus de 30% d’ici 2030, pour Imperial Oil 10% d’ici 2023.
Notons que la carboneutralité vise des réductions d’émissions absolues (réelles et sous forme de compensations; le concept est encore flou). Cet objectif est davantage aligné aux objectifs de l’Accord de Paris et d’Ottawa qu’une cible visant une réduction d’intensité qui ne réduit pas nécessairement les émissions totales.
Les quelques compagnies qui ont réalisé et publié des analyses de scénario climatique concluent que leur modèle d’affaires actuel tiendrait le coup, même dans un cas de transition rapide. Même si les explications et hypothèses sur lesquelles reposent leurs conclusions sont peu développées, ces rapports permettent néanmoins de générer d’intéressantes conversations à l’interne et avec les parties prenantes, dont les investisseurs. La question plus large et plus importante de la transition énergétique et d’une éventuelle décroissance de la demande en produits pétroliers suscite nettement moins d’enthousiasme dans nos discussions que la “concurrence carbone”.
Rappelons que les pétrolières visent à réduire leurs émissions directes (liées à la production, transformation et distribution), mais ne tiennent pas compte du CO2 émis par les produits vendus (ces émissions représentent la grande majorité de l’empreinte carbone sur une base de cycle de vie). Æquo encourage les entreprises à tenir compte de l’ensemble des émissions dans leur gestion de risque et planification stratégique, y compris celles générées en aval. Toutefois, nous reconnaissons le défi inhérent que cela représente. Notons que Shell a tracé la voie en étant la première société à s’être engagé à réduire les émissions de la totalité du cycle de vie de ses produits vendus.
Nous attendons des sociétés de pétrole et gaz qu’elles expliquent comment tout nouveau capital investi dans l’exploration et la mise en valeur de nouvelles réserves de pétrole est aligné à un scénario 2 degré. Au mieux, nous espérons voir ces entreprises diversifier leurs sources de revenus afin de contribuer à la transition vers une économie bas-carbone (tout en créant de la valeur pour leurs actionnaires). En dehors de la diversification, nous voyons aussi d’un bon œil le fait que certaines semblent actuellement prioriser les dividendes et rachats d’actions plutôt que d’engloutir ces sommes dans de nouveaux projets d’énergies fossiles. Ceci est certainement dû au prix du baril qui demeure relativement bas, au manque de pipeline et à la restriction de production imposée par l’Alberta, mais aussi au déclin à long terme anticipé de la demande en pétrole en Amérique du Nord et, éventuellement, dans le monde dans son ensemble.
Alors que l’initiative Climate Action 100+ est à mi-terme et doit prendre fin en 2023, la pression exercée par ce groupe important d’investisseurs ne pourra qu’augmenter. Il sera difficile selon nous de justifier un investissement dans une société visée qui n’aurait pas de plan de transition vers un modèle d’affaire bas-carbone. Climate Action 100+ est la plus importante initiative collaborative d’investisseur de l’histoire et jouit depuis peu de la participation de Blackrock et de ses 6 trillions d’actifs sous-gestion.
Au cours des années à venir, il sera essentiel que notre communauté affine son analyse et envoie un signal clair de ce que devrait être une stratégie de transition bas-carbone pour une compagnie de pétrole et gaz.
François Meloche, Directeur de l’engagement