Publié le 22 mai 2024
Les investisseurs sont plus que jamais préoccupés par les violations des droits de la personne dans les chaînes d’approvisionnement des entreprises. Selon l’Organisation internationale du Travail (OIT), en 2021, on estimait à 27.6 millions le nombre de personnes vivant une situation de travail forcé, soit une augmentation de 2.7 millions de personnes depuis 2016. Environ 63 % de ces cas étaient imposés par des acteurs de l’économie privée.
En vertu des Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, les entreprises ont la responsabilité de s’assurer du respect des droits de la personne dans leurs activités, et doivent notamment se conformer à un exercice de diligence raisonnable. Or, plus d’une décennie après l’adoption de ce texte, près de la moitié des entreprises analysées dans le dernier Corporate Human Rights Benchmark n’ont montré aucune preuve d’identification ou d’atténuation des enjeux relatifs aux droits de la personne dans leurs chaînes d’approvisionnement. Afin de rendre obligatoires ces pratiques, de nouvelles lois appelées en anglais « mandatory human rights and environmental due diligence laws » (mHRDD) voient le jour, comme la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (CSDDD) en Europe. On voit aussi émerger d’autres types de réglementations promouvant le respect des droits de la personne. Au Canada, la nouvelle loi contre l’esclavage moderne impose à certaines entreprises de divulguer des informations sur les risques et les mesures prises pour prévenir et atténuer le travail forcé dans leur chaîne d’approvisionnement, sans toutefois exiger qu’elles mettent en oeuvre ces mesures. Aux États-Unis, la Uyghur Forced Labor Prevention Act instaure une présomption réfutable selon laquelle les produits fabriqués dans la région autonome ouïghoure du Xinjiang, ou par certaines entités identifiées, sont interdits à l’importation.
Afin qu’elles adaptent leurs pratiques, nous demandons aux entreprises avec lesquelles nous dialoguons de mettre en place diverses mesures basées sur les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme.
D’abord, nous encourageons les organisations à mettre en place une politique relative aux droits de la personne, puis nous leur demandons d’évaluer périodiquement les risques dans leur chaîne d’approvisionnement. Il n’est plus suffisant aujourd’hui d’adopter une approche entièrement basée sur les audits sociaux, critiqués en raison de leur caractère incomplet et souvent biaisé. Les entreprises doivent plutôt cartographier l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement et identifier les risques les plus saillants en se basant sur divers critères, comme la géographie ou le type de commodité. Ce processus doit aussi impliquer un dialogue avec les travailleurs.
Ensuite, nous demandons aux entreprises de divulguer de l’information sur les mesures mises en place afin de prévenir et mitiger les risques identifiés, et d’en surveiller l’efficacité. Il peut s’agir, par exemple, d’implanter un mécanisme de plainte permettant aux travailleurs chez les fournisseurs directs et indirects de signaler de potentielles violations des droits de la personne. Nous attendons aussi des compagnies qu’elles communiquent ces actions aux parties prenantes. Finalement, en cas de violation avérée, nous demandons aux entreprises de mettre en place des mesures de remédiation. Nous suggérons aux entreprises de suivre les recommandations offertes par le
Haut-Commissariat aux droits de l’homme (HCDH) dans un nouveau guide interprétatif portant sur l’efficacité des différents types de mécanismes de remédiation. La plupart des entreprises avec lesquelles nous dialoguons ont mis en place des codes de conduite encadrant la gestion des droits de la personne dans leur chaîne d’approvisionnement. Certaines ont aussi implanté des processus, comme le fait d’auditer de manière périodique leurs fournisseurs directs. Cependant, peu d’entreprises communiquent clairement en regard de leur évaluation des risques et des mesures prises pour prévenir, atténuer et remédier aux violations des droits de la personne. De plus, presque aucune ne divulgue d’indicateurs permettant d’évaluer l’efficacité de ces mesures.
La nécessité d’un salaire viable
Le salaire viable se définit selon la Global Living Wage Coalition, comme étant: “La rémunération suffisante perçue pour une semaine de travail normale par un travailleur dans un lieu donné pour assurer un niveau de vie décent au travailleur et à sa famille”. Les éléments pris en considération comprennent la nourriture, l’eau, le logement, l’éducation, les soins de santé, le transport,l’habillement et d’autres besoins essentiels, y compris la prise en charge d’événements imprévus. Le concept de salaire viable est reconnu comme faisant partie des droits fondamentaux de la personne, et est donc mentionné dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, le préambule de la Constitution de l’OIT, et dans les Objectifs de Développement Durable de l’ONU (ODD).
Comme le souligne le rapport “The Case of Living Wage” de l’Université de Cambridge: “À l’échelle mondiale, 630 millions de personnes vivent dans la pauvreté et gagnent moins de 3,20$ par jour en termes de parité de pouvoir d’achat (PPA)”. L’enjeu de salaires décents concerne l’ensemble des pays à l’échelle internationale (autant les pays à hauts revenus que les pays à moyens et faibles revenus). À titre d’exemple, alors que le salaire minimum fédéral aux États-Unis est resté à un peu plus de 7$/h depuis 2009, l’inflation a réduit la valeur des salaires. Ce salaire minimum ainsi que ceux fixés par les États (par exemple, 16$/h pour la ville New York et un peu moins de 14$/h pour le Vermont) sont loin de garantir un salaire décent aux travailleurs, qui est estimé à 25$/h en 2023 pour l’ensemble des États-Unis (33$/h pour la ville de New York et 23$/h au Vermont). Quant au Bangladesh, le rehaussement récent du salaire minimum pour les travailleurs du secteur du textile à 113$ mensuel est encore très loin du salaire viable de 235$ estimé par la Global living Wage Coalition. Assurer un salaire viable demeure l’un des moyens les plus efficaces pour aider les individus à sortir de la pauvreté, réduire les inégalités et progresser vers l’atteinte des ODD. En outre, offrir un salaire viable aux employés comporte de nombreux bénéfices pour les entreprises tels qu’augmenter la satisfaction des employés et leur bien-être, et réduire le taux de rotation du personnel.
Aucune entreprise de notre plan ne se démarque particulièrement concernant l’implantation d’un salaire viable, que cela concerne ses employés directs ou ceux de sa chaîne d’approvisionnement. Cependant, certaines compagnies telles que Dollar Tree ont entamé un processus de réflexion sur la compensation. En effet, Dollar Tree collecte des données sur la compensation afin d’évaluer ses pratiques et les opportunités d’amélioration des conditions de travail et de rémunération.
Ainsi, sur la question du salaire viable, nous demandons aux compagnies d’adopter les pratiques suivantes :
- Divulguer des informations sur les salaires des employés tels que le salaire moyen, le ratio de la rémunération PDG-travailleur, et les bénéfices des employés
- Adhérer aux cibles de salaire viable établies par l’initiative Forward Faster
- Adopter une politique relative au salaire viable couvrant les employés directs et les fournisseurs
- Analyser l’écart entre les salaires des employés et le seuil de salaire viable, ainsi que l’écart entre le salaire du PDG et le salaire médian des travailleurs,pour ensuite mettre en place des mesures afin de réduire ces écarts
- Réaliser une analyse coût-bénéfice de l’augmentation des salaires et en divulguer publiquement les résultats
Charlotte Douillard, Conseillère en engagement actionnarial